Figurez-vous un mari dont la femme, une suicidée qui s’est jetée par la fenêtre il y a quelques heures, gît devant lui sur une table. Il est bouleversé et n’a pas encore eu le temps de rassembler ses pensées. Il marche de pièce en pièce et tente de donner un sens à ce qui vient de se produire.
Fédor Dostoïevski.
Lionel González met en scène et interprète la nouvelle de Fédor Dostoïevski, La Douce.
Lionel González, le narrateur, retraverse son histoire. Il veut comprendre pourquoi son épouse a donné fin à ses jours. Ce cheminement se construit au fil de ses pensées qu'il édicte à haute voix. Embrouillé, perturbé, il reprend la chronologie de sa rencontre avec son épouse, expose le contexte et l'évolution de leur relation.
Les considérations se mêlent aux souvenirs et petit à petit se dessine une personnalité beaucoup moins bienveillante qu'il n'y paraît. Sincère dans sa souffrance, la dureté de certains propos révèle un caractère ambivalent empreint d'orgueil et marqué par un passé traumatique enfoui dans le silence.
Verbalisant sans cesse jusqu'à rendre explicite l'implicite, Lionel González pousse la narration jusqu’à l'adresse directe.
Lionel González nous emporte au fond du drame de Dostoïevski.
Il dépasse le monologue pur pour imposer une attitude, une colère, et exposer toute la violence d'un discours enfoui sous le déni. Son jeu, toujours en tension, fait surgir une culpabilité noyée sous la colère d'un homme qui a du mal à se regarder en face.
Judicieusement, Lionel González prend sans cesse à parti le spectateur, qui malgré l'accord tacite de ne pas juger, ne peut s’empêcher de deviner les démons qui hantent la conscience de cet homme, pris au piège de la réalité.
Dans cette parole, donnée de son seul point de vue, se pose alors la question, qui veut vraiment convaincre le narrateur ?
Sous couvert de sa bonne foi, on découvre un caractère froid, taciturne, qui semble sans cesse se persuader de sa générosité et de sa bonté.
La narration est sans cesse contrebalancée par la performance scénique de Jeanne Candel qui hante le plateau dans un jeu de perspectives. Elle donne corps à l'absente. Elle est la voix silencieuse, inaudible et pourtant si expressive de celle que l'on n'entend pas, qui n’existe qu'à travers les mots du narrateur. Sa présence nous rappelle sans cesse qu'existe une autre vérité, un autre chemin possible.
La musique de Thibault Perriard suit les battements du corps fiévreux de l'absente. Sa musique fait résonner, plus fort que les mots, le rythme cardiaque qui s'emballe sous cette voix étouffée.
La mise en scène subtile de Lionel González et la scénographie de Lisa Navarre croisent le point de vue narratif et la performance de Jeanne Candel pour dessiner sous-jacente, une tyrannie du quotidien. La musique orchestrée par Thibault Perriard apporte alors une polyphonie qui casse la seule parole du monologue. La parole de l’orateur ne se suffit plus à elle-même.
Dans une tension qui monte crescendo, la puissance d'interprétation de Lionel González nous entraine dans les méandres de la culpabilité et du déni.
Lionel González décortique le texte de Dostoïevski et délivre un matériau vivant, intense qui explore toutes les subtilités de la conviction et de la culpabilité.
L'écriture de Dostoïevski dans La nuit sera blanche prend vie en mots, en corps et en musique.
Crédit Photo : © Christophe Raynaud de Lage
La nuit sera blanche d’après La Douce de Fédor Dostoïevski de Lionel González jusqu'au samedi 27 janvier 2024 au Théâtre de l'Aquarium dans le cadre du Festival BRUIT - Festival théâtre et musique
Direction artistique : Lionel González
Conception et jeu : Jeanne Candel, Lionel González, Thibault Perriard
Scénographie : Lisa Navarro
Lumière : Fabrice Ollivier
Costumes : Élisabeth Cerqueira
Collaboration artistique : Chloé Giraud
Première version en septembre 2017, Un Festival à Villerville.
Remerciements à Pierre Devérines et Marion Bois.
Production Le Balagan’ retrouvé, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis.
Projey soutenu par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France.
Sophie Trommelen, Vu au Théâtre Gérard Philippe, le 17 avril 2022.