Thomas Jolly adapte la fable éminemment politique d'Evgueni Schwartz, et nous entraine dans la noirceur fantastique de cette parabole écrite en 1944 par le dramaturge russe.
Lancelot, l’intrépide vagabond, fatigué de son long chemin, ouvre au hasard de sa route la porte d'une maison biscornue. Accueilli par un chat qui parle, il apprend que la région vit sous l'emprise d'un terrible Dragon. Les habitants asservis nourrissent la bête, entre autres kilos de chair animale, d'une de leur jeune fille vierge qu'ils offrent en sacrifice une fois par an. Cette année, Elsa, la fille de l'hôte de Lancelot, l'archiviste Charlemagne, a été choisie par le terrible Dragon.
Lancelot décide de défier le Dragon, contre l'avis général de la population qui s'est accoutumée à son malheur, dans ce monde où les choses vont très bien comme elles vont.
Car le monstre n'est pas que celui qu'on croit. La communauté s'est organisée autour de la terreur, et le Dragon a ses relais officiels, tel le bourgmestre, et ce relais plus insidieux, celui de la servitude.
Thomas Jolly nous plonge dans l'atmosphère lugubre d'un merveilleux qui se teinte ici d'une noirceur terrorisante.
Tous vêtus de noir et de blanc, les personnages incarnent une véritable caricature de l'asservissement. La Bête s'est immiscée en chacun d'eux, par profit, par peur, par complaisance.
Tuer le Dragon ne suffit plus, c'est un système alors porté par des hommes qu'il faut combattre.
La force de la représentation tient en ses personnages. Entre le bourgmestre ambitieux, incroyable Bruno Boyeux, le chat malicieux (Pierre Delmonte), les figures humaines du dragon portées par Moustafa Benaïbout, Clémence Boissé et Gilles Chabrier, Thomas Jolly crée un univers à la fois sombre, onirique et surtout complètement décalé.
Dans chaque détail, chaque réplique, Thomas Jolly infuse une fantaisie acerbe, une théâtralité de chaque instant.
Les effets visuels et sonores, le jeu permanent des acteurs créent une véritable matière à réfléchir, à s’émouvoir, à rire.
Thomas Jolly met en scène la monstruosité dans ce qu'elle de plus terrible, la peur de l'étranger, le totalitarisme et ses dérives. Au-delà du message dénonciateur, qu'il adapte d'une actualité omniprésente, Thomas Jolly met en scène un ton, une énergie vibrante qui se déploie avec une intelligence scénique magistrale.
Photos Nicolas Joubard
Le Dragon d'Evgueni Schwartz mise en scène de
Thomas Jolly au Théâtre Nanterre-Amandiers - Centre dramatique national jusqu'au 26 mars 2023
Texte français :
Benno Besson
Avec : Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaïbout,Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte,Hiba El Aflahi en alternance avec Emeline Frémont, Damien Gabriac, Katja Krüger, Pier Lamandé (ou Thomas Germaine le 16 mars),Damien Marquet, Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard
Scénographie : Bruno de Lavenère
Lumières : Antoine Travert
Musique originale et création son : Clément Mirguet
Costumes : Sylvette Dequest
Accessoires : Marc Barotte et Marion Pellarini
Consultante langue russe : Anna Ivantchik
Maquillage : Catherine Nicolas avec la collaboration d’Élodie Mansuy
Collaboration artistique : Katja Krüger
Production
: Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
Coproduction :
Théâtre national de Strasbourg ; La Comédie, Centre dramatique national de Reims ; Théâtre National Populaire ; Théâtre du Nord, Centre dramatique national Lille Tourcoing Hauts-de-France ; La Villette – Paris
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Construction du décor
: Ateliers du Théâtre Royal des Galeries, Bruxelles
Participation à la construction des décors, mobilier et accessoires : Atelier de décors de la ville d’Angers
Sophie Trommelen, vu le 18 mars 2023 au Théâtre Nanterre-Amandiers - Centre dramatique national