Dix ans après, Ivo Van Hove s'attache à son œuvre précédemment adaptée en néerlandais et fait désormais le choix d'acteurs français pour mettre en parallèle les deux films d'Ingmar Bergman, sortis respectivement en 1984 et 1966, Après la répétition et Persona. Présentées en deux opus bien distincts, les deux adaptations confrontent la figure de l'artiste en proie à ses démons artistiques les plus profonds.
Après la répétition inaugure l'adaptation. Le huis clos se joue dans le lieu du théâtre, entre les coulisses et la scène, où le metteur en scène Henrik Vogler et sa jeune actrice s'attellent à l'adaptation du Songe de Strindberg. Dans cet espace où sont enfermés les protagonistes, Henrik Vogler discourt sur le théâtre, obsessionnel, vivifiant, source de sa seule réalité et de son accomplissement. L'arrivée d'Emmanuelle Bercot trouble la logorrhée d'Henrik Vogler. Son apparition bouscule le confort teinté de déni du metteur en scène. Mère de la jeune actrice, interprétée par Justine Bachelet, elle représente aussi son double vieillissant. Cantonnée désormais à des rôles de figurantes, en perte de repère, Emmanuelle Bercot incarne Rakel, confrontée à l'hypocrisie de son métier au jeunisme prégnant. L'emprise ici n'est pas tant le théâtre mais plutôt celle d'un metteur en scène sur ses actrices, un propos parfois problématique, là où on attendait toute la pertinence du dramaturge.
Le deuxième opus, Persona, vient renverser la situation. La scène s'ouvre sur Emmanuelle Bercot, complétement mutique, anéantie, dépouillée de toutes ses certitudes. Dans une explosion scénographique, Ivo Van Hove fait dialoguer ce que le théâtre a de meilleur pour Henrik Vogler, au pire du désœuvrement pour Elisabeth Vogler. Emmanuelle Bercot incarne de la moindre mimique, du moindre geste, toute la douleur et les souffrances de l'actrice, enfermée dans un corps qui ne répond plus. Portée par la présence de Justine Bachelet, métamorphosée en soignante à l'ambivalence troublante, Emmanuelle Bercot se font dans l'adaptation qui prend des allures de performance. Les images déployées par Jan Versweyveld ouvrent l'espace, ce n'est plus le milieu clos du théâtre qui inspire mais la nature dans ce qu'elle a d'impétueux, seule capable d'émouvoir et de réveiller les sensations.
Les deux opus dialoguent dans ce qu'ils disent de l'enfermement de l'artiste, de son emprise et de ses doutes. Le propos joue sans cesse de la contradiction, dans la forme des deux opus qui use de ressorts théâtrales diamétralement opposés, mais aussi dans ce que signifie l'art pour chacun des deux protagonistes, la nécessité vitale de s'y fondre pour Henrik Vogler, et celle d'y échapper pour Élisabeth Vogler.
Si Ivo Van Hove, en mettant en scène des corps enfermés qui se perdent ou s'accomplissent dans l'espace du théâtre, s'enferme lui-même dans sa fascination pour Bergman, le dramaturge déploie des images sublimes figurant l'obsession artistique.
Après la répétition / Persona - Ingmar Bergman, Ivo Van Hove jusqu'au 24 novembre 2023 au Théâtre de la Ville.
Les œuvres théâtrales d’Ingmar Bergman sont représentées dans les pays de langue française par l’agence DRAMA-Suzanne SARQUIER (dramaparis.com), en accord avec la Fondation Bergman (ingmarbergman.se) et l’Agence Joseph Weinberger Limited à Londres.
Sophie Trommelen, vu le 9 novembre 2023 au Théâtre de la Ville