La scénographie, bercée de lumières douces et graciles, nous pose entre les voiles d'un bateau qui figure la longue traversée à venir, embarqués dans le mythe de la femme infanticide et ses multiples interprétations.
Astrid Bayiha tisse ce corpus foisonnant avec fluidité et cohérence pour façonner une image plurielle de la femme. Plurielle, est aussi la figure scénique de Médée incarnée par quatre comédiennes qui chacune dessine un visage de la femme antique, moderne, entière et toujours incandescente. Fernanda Barth, Jann Beaudry, Daniély Francisque et Swala Emati, se transmettent ainsi le flambeau immuable du tragique destin de l'amante passionnée, trahie et déchue. La tragédie alors universelle traverse les âges et les époques comme une transmission inexorable, celle des amours déçues, éphémères et déchirantes. Jason, figure masculine est lui aussi multiple, incarné par Josué Ndofusu et Valentin de Carbonnières en alternance avec Anthony Audoux, ils sont l'amant trouble et culpabilisant, égoïste et versatile.
Subtilement, Astrid Bayiha déplace la démesure de la femme à la démesure de ses souffrances. Déployant le mythe, elle rend palpable la douleur et la rage de Médée, femme entre toutes les femmes. Astrid Bayiha affranchit Médée de sa monstruosité. En confrontant la médiocrité et la cruauté de Jason au sacrifice de Médée, elle contextualise l’innommable. Oscillant entre les dialogues à vif et un narratif porté par Nelson-Rafaell Madel, chef de chœur de la vibrante variation polyphonique, M comme Médée se construit sur une chronologie qui figure le chemin qui la mène à la folie.
A travers la douceur des chants qui habitent la représentation, Astrid Bayiha caresse la douleur de Médée, et déconstruit cette folie qui loin d'être intrinsèque nait de l'impossibilité de survivre à la trahison. Loin d'attiser la fureur ancestrale, M comme Médée exprime le désespoir, l'irréparable comme seule échappatoire à un destin implacable.
M comme Médée adaptation, dramaturgie et mise en scène Astrid Bayih jusqu'au 25 novembre 2023 au Théâtre de la Tempête Cartoucherie
Le travail d’adaptation a été réalisé d’après Médée, poème enragé de Jean-René Lemoine, Manhattan Medea de Dea Loher (trad. Laurent Muhleisen et Olivier Balagna), Medealand Sara Stridsberg (trad. Marianne Ségol-Samoy), Médée de Sénèque (trad.Florence Dupont), Médée d’Euripide (trad. Florence Dupont), Médée de Jean Anouilh, Médée-Matériau de Heiner Müller (trad. Jean Jourdheuil, Heinz Schwarzingert, Jean-François Peyret, Jean-Louis Besson, Jean-Louis Backès)
production : Compagnie Hüricáne ; en coproduction avec Tropiques Atrium – scène nationale de Martinique ; avec l’aide de la DRAC Ile-de-France au titre de l’aide au projet 2022, du ministère des Outre-mer au titre du FEAC, de l’Institut Français dans le cadre du dispositif Des mots à la scène, la ville de Paris, la région Ile-de-France, l’Adami ; avec le soutien en résidence de La Colline – théâtre national, de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, du T2G – Théâtre de Gennevilliers – CDN, des Laboratoires
d’Aubervilliers ; en coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région
Ile-de-France et soutenu par la ville de Paris
Sophie Trommelen, vu le 5 novembre au Théâtre de la Tempête