Après son exploration du répertoire de Beckett, Jacques Osinski met en scène le texte de Marguerite Duras, L'Amante Anglaise, représenté pour la première fois en 1968 au Palais de Chaillot, alors Théâtre National Populaire dirigé par George Wilson. S'inspirant d'un véritable crime commis à Savigny-sur-Orge, Marguerite Duras s'attache à la figure d'une femme meurtrière pour composer un récit troublant reposant sur la seule énigme, non pas du qui, ni du comment, mais du pourquoi.
Claire Lannes a assassiné sa cousine sourde et muette qui vivait depuis des années avec elle et son mari Pierre. Depuis le pont, elle a jeté un à un les morceaux du corps alors dispersés aux quatre coins de la France, emportés par les wagons des trains de marchandises qui passaient par là. Localisant le viaduc de Viorne comme seul lieu de passage commun aux trains, les enquêteurs remontent à la source du crime, identifiant rapidement Claire Lannes comme la meurtrière. Si le coupable est retrouvé, l’énigme reste entière.
Jacques Osinski s'empare d'un texte à la dramaturgie dépouillée de tout superflu qui convoque la parole comme unique accessoire, capable à elle-seule de faire théâtre.
La scène encore plongée dans le noir, Denis Lavant énonce en voix off la lecture factuelle des faits. Si la dramaturgie repose sur la mise en lumière des protagonistes, le fait divers, lui, à l’instar de ce moment suspendu, restera dans la pénombre.
Frédéric Leidgens prend en charge le récit, flic il ne l'est pas, l’investigateur n'est pas en quête d'une vérité déjà énoncée et avérée, non, stylo à la main, de sa voix claire et appuyant chaque mot, il cherche à comprendre, à faire surgir par l'enchainement de ses questions, une cohérence. En deux séquences d'une heure chacune, Pierre, le mari, puis Claire, la femme, vont s'exprimer sans jamais se croiser. La force de l'adaptation de Jacques Osinski repose alors sur l'équilibre des deux interrogatoires successifs. La tension s'installe, progressive. Les questions déroulent le fil d'une vie qui s'est forgée sur l'habitude, reposant sur la résignation d'un couple à vivre une vie sans passion, rythmée par un quotidien médiocre qui jamais frontalement ne peut expliciter le passage à l'acte.
Jacques Osinski transforme tout le factuel du fait divers en une plongée dans les méandres d'une psyché qui jamais ne se dévoile. Grégoire Oestermann et Sandrine Bonnaire, incarnent d'un œil lumineux, d'un sourire solaire, tous les mouvements intérieurs de ces caractères loquaces et pourtant complètement hermétiques. En chef d'orchestre de leur partition statique, Frédéric Leidgens s'avoue vaincu par la résistance des dialogues, réfractaires à l'émergence d'une explication, même incohérente, au drame sordide.
Photographie © Pierre Grosbois
L'Amante Anglaise de Marguerite Duras Mise en scène Jacques Osinski au Théâtre de l'Atelier
Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann
Sophie Trommelen, vu le 23 octobre 2024 au Théâtre de l'Atelier