Il n'y a rien de plus bouleversant que de découvrir un artiste à son endroit, dans la juste cohérence de son expression artistique. Alliant la puissance de l'oralité des contes à la symbolique du rituel, Kenza Berrada fabrique un récit sans cesse en mouvement qui, entre la confession, la musique et la danse, porte la voix d'un silence assourdissant.
Métamorphosé en animal par la puissance divine pour avoir abusé d'une femme dans un lieu sacré, Boujloud parade dans les rues des villages au lendemain de l’Aïd el-Kebir. Dépassant le folklore du rite de l'homme aux peaux, Kenza Berrada explore la dimension expiatoire d'une tradition qui en dit long sur ses démons.
Kenza Berrada s'empare du mythe marocain qu'elle éclaire à la lumière de témoignages de femmes qui, au présent, interrogent leur rapport au consentement, à leur consentement. Le il était une fois de leurs histoires laisse place au glaçant, c'était comme ça.
Bouleversée par le témoignage d'Houria, persuadée que son histoire ne vaut pas la peine d'être écoutée, Kenza Berrada choisit d’exprimer à travers le prisme d'une performance pluridisciplinaire la douleur de son héroïne.
D'une posture toujours engagée, en équilibre sur ces demi-pointes comme pour mieux marquer un encrage au monde complexe.
La parole circule par les mots, par le corps.
En construisant son récit en référence aux différents âges de la vie d'Houria, abusée à 7 ans, Kenza Berrada figure l'indélébilité du traumatisme qui s'absout de toute chronologie. Le monstre grandit, dans ce parcours sinueux, jamais linéaire.
Kenza Berrada met en scène un récit aux dimensions plurielles qu'elle porte comme une seconde peau. Le mythe ancestral croise l'intimité d'un vécu qui se déploie, universel, bien réel.
À quoi sert une parole si elle n'est libéré que dans l'enceinte d'une société qui entonne des chut et des ça va aller comme autant de coups de hache sur une blessure qui arrive à peine à dire son nom.
De sa seule présence, de son corps dépouillé de tout artifice, Kenza Berrada nous exhorte à ne pas détourner notre regard, à écouter, activement, les résonances de l'abus que, seule, la victime ne peut affronter.
Crédit photos : Hélène Harder
Boujloud (l'homme aux peaux) de Kenza Berrada jusqu'au 30 novembre 2024 au Théâtre de la Bastille
De et avec : Kenza Berrada
Création sonore : Kinda Hassan
Création Vidéo : Maud Neve
Création lumière : Georgia Ben Brahim
Aide à la chorégraphie : Elsa Wolliaston, Annabelle Chambon et Cédric Charron
Extraits de La Liberté de Guillaume Massart et Mettre la hache - Slam western sur l’inceste de Pattie O’Green
Regard extérieur : Raphaël Chevènement
Production et diffusion : Les Rencontres à l’échelle – Bancs Publics (Marseille), KUMQUAT | performing arts (Paris) (jusqu'en 2023)
Coproduction : Institut Français du Maroc, Goethe Institut du Maroc, GMEM - Centre national de création musicale (Marseille), Domaine de Lorient - Saint-Péray, Le Cube – Independant art room (Rabat, Maroc), ONU Femmes Maroc et Atlas electronic
Soutiens : Institut Français (Des mots à la scène, Paris) et Arab Fund for Arts and Culture (AFAC)
Remerciements : Le Point Éphémère
www.lesrencontresalechelle.com
Sophie Trommelen, vu le 25 novembre 2024 au Théâtre de la Bastille