L’Amante anglaise de Marguerite Duras mise en scène Émilie Charriot

 
 
 
 
À chacun ses rockstars. Ce soir, sur la scène des Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond créent l'événement. Costumes sobres, éclairés au néon, avec pour seul artifice leur incarnation, les comédiens, placés au centre de l'arène, apprivoisent les subtilités du texte de Marguerite Duras avec une présence monumentale.
 
L’arène, pour la metteuse en scène Émilie Charriot, ne se délimite pas au plateau. Depuis les gradins, Laurent Poitrenaux incarne Pierre Lannes, le mari de celle par qui le fait divers arrive, sans que l’on sache pourquoi, sans qu’elle-même ne puisse l’expliquer.
Claire Lannes a assassiné sa cousine, sourde et muette, qui vivait avec le couple depuis des années. Face à elle, l’interrogateur – Nicolas Bouchaud – se lance dans un travail d’investigation. Si les faits sont connus, si le coupable est identifié, les motivations, elles, constituent le nœud central de L’Amante anglaise
 
Marguerite Duras convoque la parole comme unique accessoire, capable à elle seule de faire théâtre. Comment par cette seule parole éclairer l’obscurité d’une pensée ? Retracer les fils invisibles de sa construction ? Cheminer avec elle jusqu’au crime ?
L’interrogateur – ex-flic, psy ou journaliste – traque une logique, cherche un sens à un crime qui ne renvoie qu’à lui-même. Ni revendiqué, ni passionnel, le fait divers suit sa propre cohérence, obscure et insaisissable. Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond s’emparent de ce vertige, de ce trouble béant où l’esprit se perd, où la raison s’épuise à faire sens.
 
Scindé en deux témoignages distincts, l’interrogatoire de Pierre Lannes précède celui de Claire Lannes. L’énigme déconstruit les codes du roman policier, déjoue les attentes dramaturgiques. Plus la pièce avance, plus le texte nous entraîne dans les méandres d’une personnalité complexe, d’abord éclairée par le regard effroyablement insensible du mari, puis livrée dans toute sa singularité par la parole de la coupable elle-même. La scénographie, en plaçant les personnages chacun à son endroit bien distinct, figure l'émancipation de Claire Lannes dont l'époux n'est plus qu'une ombre oppressante dont elle s'est affranchie par son crime. 
 
En faisant entrer le spectateur dans le drame durassien par la porte de l'anecdote, Émilie Charriot ancre l'atmosphère de la représentation dans ce qu'elle a de curieux, d'insondable. Émilie Charriot, Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond figurent l'Amante anglaise comme une histoire qui se raconte, un conte tordu qu'on se partage à la volée et qui inconsciemment bouscule l'ordre établi. Une adaptation saisissante qui floute les frontières de la folie et de la liberté sans jamais choisir son camp.
 
 
 
 crédit photos : © Sebastien Agnetti
 
L’Amante anglaise de Marguerite Duras mise en scène Émilie Charriot jusqu'au 13 avril aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon
 
avec Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond
dramaturgie : Olivia Barron
scénographie, lumière : Yves Godin 
costumes : Caroline Spieth
production :  Compagnie Émilie Charriot 
coproduction :  Théâtre Vidy-Lausanne, Odéon-Théâtre de l’Europe, Théâtre Saint-Gervais – Genève, Bonlieu scène nationale Annecy avec le soutien de la Loterie Romande, Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture, Fondation Jan Michalski, Fondation Ernst Göhner, les affaires culturelles du Canton de Vaud, la Société suisse des artistes interprètes SIS
la compagnie Émilie Charriot est soutenue par la ville de Lausanne au titre d’une convention de subventionnement.
L’Amante anglaise de Marguerite Duras, Gallimard, Folio théâtre, 2017 création en novembre 2024 
 
Sophie Trommelen, vu le 21 mars 2025  aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon